Les opérations internationales sont très complexes. Qu’il s’agisse de mettre sur pied un groupe d’affaire ou d’acheter ou de vendre une structure existante, les préparatifs et la mise en œuvre exigent invariablement beaucoup de travail.
Des ressources considérables sont consacrées à l’étude de la faisabilité, la rentabilité, l’efficacité de la structure ou l’efficience fiscale et, quels que soient les pays concernés, la question finale est toujours la même : le coût de ces démarches peut-il être déduit dans le calcul du bénéfice imposable?
La réponse dépend de nombreux facteurs et varie d’un pays à l’autre. Cette incertitude est souvent la cause de vérifications et de contestations par les autorités fiscales locales.
C’est d’ailleurs ce qui est arrivé au Canada au groupe Rio Tinto Alcan Inc. (« Alcan »). En juin 2018, la Cour d’appel fédérale a rendu une décision sur la déductibilité des dépenses faites par Alcan dans le cadre d’une acquisition à l’étranger.
L’intérêt de cette décision réside dans la diversité des déductions réclamées et la profondeur de l’analyse de la Cour d’appel.
Alcan, une société canadienne inscrite aux Bourses de Toronto, de New York et de Londres, souhaitait faire l’acquisition de sociétés étrangères pour consolider ses activités dans le secteur de l’aluminium. Les dépenses sous étude par la Cour s’inscrivaient dans l’une ou l’autre des opérations suivantes:
• La première, « l’opération Pechiney », visait l’acquisition de Pechiney, une entreprise industrielle française active dans le secteur de l’aluminium.
• La deuxième, dite « opération Novelis », consistait à réorganiser le groupe pour répartir la propriété de certaines alumineries, en réaction aux préoccupations des autorités européennes et américaines de réglementation de la concurrence. Elle avait pour objet la cession de deux des quatre alumineries du groupe en Europe et d’autres situées ailleurs dans le monde à Novelis, une société créée dans ce but précis et détenue directement par les actionnaires d’Alcan.
Ces opérations ont exigé des sommes colossales, si bien que les dépenses en litige totalisaient 97 134 008 dollars canadiens.
Dans l’appel, l’accent a été mis sur les dépenses suivantes :
• Services bancaires d’investissement :
− L’analyse de la situation commerciale et financière, incluant la préparation de modèles financiers avant l’opération Pechiney,
− L’analyse effectuée pour l’opération Novelis,
− Les services relatifs au respect des lois sur les valeurs mobilières, pour les deux opérations,
− L’analyse d’autres possibilités d’opérations;
• Services de publicité;
• Services d’impression et de publication de rapports finaanciers:
− Pour l’opération Pechiney;
− Pour l’opération Novelis.
Au Canada, pour qu’une dépense puisse être déductible dans le calcul du bénéfice imposable, elle doit avoir été engagée pour la production d’un revenu, et non à titre de capital. Il ressort de l’analyse de la Cour d’appel trois éléments particulièrement éclairants à cet égard :
1.Pour savoir si une dépense a été engagée pour la production d’un revenu ou à titre de capital, il faut « [prendre] en compte [les] réalités industrielles et commerciales du contribuable »[1].
• En l’espèce, Alcan étant une société ouverte, elle avait un besoin accru de surveillance pour ses opérations, et ses administrateurs devaient demander des conseils professionnels indépendants pour prendre des décisions. Les services de surveillance ont donc été jugés déductibles.
2. Il convient de distinguer les dépenses engagées lors du processus décisionnel (dépenses liées à la surveillance) des coûts d’exécution, qui sont des dépenses de capital s’ils s’inscrivent dans l’acquisition ou la création d’une immobilisation. En revanche, « le simple fait qu’une dépense est engagée en vue de décider de l’acquisition ou de la création d’une immobilisation ne veut pas dire qu’elle devient automatiquement une dépense en capital »[2].
• Les frais de publicité faisaient partie du processus d’exécution. Ainsi, comme ils visent à faciliter le déroulement de l’acquisition, et non à répondre à un besoin courant de l’entreprise, ils constituent des dépenses de capital et ne sont pas déductibles.
• Alcan a procédé à de nombreuses acquisitions avant l’opération Pechiney. Pour elle, l’étude d’occasion d’acquisition par les services bancaires d’investissements représentait une dépense constante et récurrente et faisait partie de ses frais d’exploitation annuels. La Cour a statué que cette dépense avait été engagée pour la production d’un revenu, et non à titre de capital.
3. La règle de non-déductibilité des dépenses en capital comporte des exceptions. Par exemple, il y en a une pour les frais de conseils relatifs à la vente d’une partie ou de la totalité des titres d’une société, mais elle est assortie de critères d’admissibilité et assujettie à d’autres dispositions restrictives.
• La Cour d’appel fédérale a observé dans un obiter que si la Cour suprême du Canada était saisie de l’affaire et concluait que les frais constituaient une dépense en capital, ces frais seraient tout de même déductibles en vertu de l’alinéa 20(1)bb) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Elle a toutefois refusé de se prononcer sur l’application de la disposition restrictive de l’alinéa 40(1)a) de la Loi.
• Il existe également des dispositions portant spécialement sur les rapports financiers. Or, quiconque souhaite les invoquer doit prouver que la somme a été consacrée exclusivement pour l’impression d’information financière.
La Cour n’a pu déterminer avec précision dans quelle proportion les frais engagés se rapportaient directement à l’impression d’information financière. Le total a donc été considéré comme une dépense de capital et jugé non déductible.
Dans cette affaire, les frais de services bancaires d’investissement ont été jugés déductibles, mais pas les frais de publicité ni les frais de production de rapports. Nous comprenons de l’analyse de la Cour que, dans d’autres circonstances, l’issue pourrait être complètement différente.
Ce qu’il faut retenir de cette décision, ce sont les trois éléments vus plus tôt, que l’on peut résumer ainsi : 1) les activités industrielles et commerciales du contribuable influent sur le résultat; 2) l’issue varie selon que la dépense a été engagée en prévision ou en vue de l’opération, ou bien lors de son exécution; 3) certaines dépenses peuvent faire l’objet d’exceptions et de dispositions restrictives.
À propos des auteurs:
Mathieu Ouellette, CPA, CA, LLM Fisc., est associé en fiscalité chez Crowe BGK
Connectez avec lui: [email protected]
Daniel A. Brisebois, LLB, DDN, M Fisc., est conseiller en fiscalité chez Crowe BGK
Connectez avec lui: [email protected]
[1] Canada c. Rio Tinto Alcan Inc., 2018 CAF 124 « Canada c. Rio Tinto Alcan », paragr. 71.
[2] Canada c. Rio Tinto Alcan, op. cit., note 1, paragr. 72.